Article unique
Le troisième alinéa de l’article 521-1 du code pénal est supprimé.
L'article 521-1 réprime les «actes de cruauté» et «sévices graves» commis à l'encontre d'un «animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu en captivité» ; son alinéa 7 indique que «Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux courses de taureaux [à la corrida] lorsqu’une tradition locale ininterrompue peut être invoquée».
N° 1652 (rectifié)
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DOUZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 8 juin 2004.
PROPOSITION DE LOI
visant à interdire tous les sévices graves envers les animaux domestiques ou apprivoisés, ou tenus en captivité, susceptibles d’être exercés lorsqu’une tradition locale ininterrompue peut être invoquée,
(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration
générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais
prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
PRÉSENTÉE
par Mme Muriel MARLAND-MILITELLO, MM. Manuel AESCHLIMANN, Pierre AMOUROUX, Patrick BEAUDOUIN, Jacques-Alain BÉNISTI, Jean-Louis BERNARD,
Mme Martine BILLARD, MM. Yves BOISSEAU, Loïc BOUVARD, Bernard BROCHAND, François CALVET, Yves COCHET, Louis COSYNS, Lucien DEGAUCHY, Richard DELL'AGNOLA, Léonce DEPREZ, Dominique DORD, Jean-Pierre DUPONT, Nicolas DUPONT-AIGNAN, Mme Arlette FRANCO, MM. Daniel GARD, François GROSDIDIER, Mme Arlette GROSSKOST, M. Pierre HELLIER, Mmes Maryse JOISSAINS-MASINI, Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET, M. Lionnel LUCA, Mme Corinne MARCHAL-TARNUS, MM. Alain MARSAUD, Jean MARSAUDON, Mme Henriette MARTINEZ, MM. Christian MÉNARD, Gilbert MEYER, Pierre MICAUX, Jean-Marc NESME, Jean-Pierre NICOLAS, Robert PANDRAUD, Bernard PERRUT, Mme Bérengère POLETTI, MM. Bernard POUSSET, Jacques REMILLER, Mme Juliana RIMANE, MM. Jean-Marc ROUBAUD, Bernard SCHREINER, Daniel SPAGNOU, Mme Irène THARIN, MM. Christian VANNESTE et Michel ZUMKELLER
Additions de signatures :
Mme Brigitte Barèges, M. Gabriel Biancheri, M. Francis Hillmeyer, M. Gérard Léonard, M. François Rochebloine, M. Jean-Claude Abrioux, M. Jean-Yves Chamard, M. Jean Diébold, M. Serge Roques, M. Jean Tiberi, M. François Vannson, M. Joël Sarlot, M. Jean-Claude Mathis, M. Christophe Guilloteau
M. Jean-François Chossy
Députés.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
« Je ne suis pas un écologiste qui dit qu’une souris a autant de responsabilité que moi, je suis un écologiste qui dit que j’ai plus de conscience que la souris et que je suis donc responsable aussi de la souris. » Jean-Marie Pelt, La vie est mon Jardin.
La volonté de combattre les violences et les souffrances qui en découlent, reflète une des avancées de nos sociétés contemporaines. Au travers de dispositions législatives, nos responsables politiques ont exprimé à maintes reprises leur détermination à protéger les êtres les plus faibles, vulnérables à l’agressivité des plus forts.
La sensibilité à la souffrance d’autrui ne s’arrête plus de nos jours à la souffrance humaine.
« Face à la souffrance humaine ou animale, le cœur et la compassion ne se divisent pas » Théodore Monod.
Nos contemporains, conscients de la souffrance que peut ressentir tout être sensible doué de mémoire, ont étendu aux animaux qui sont sous notre responsabilité cette protection juridique, quand il s’agit de sévices graves.
Art 321-1 du Code Pénal, Alinéas 1 et 2 :
Le fait, publiquement ou non, d'exercer des sévices graves, ou de nature sexuelle, ou de commettre un acte de cruauté envers un animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu en captivité, est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende.
A titre de peine complémentaire, le tribunal peut interdire la détention d'un animal, à titre définitif ou non.
Il ne s’agit donc pas d’établir une égalité homme-animal, mais de rendre l’homme plus grand par sa volonté de prendre en compte la souffrance animale quand elle dépend de lui.
Malheureusement l’alinéa 3 de cet article, (Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux courses de taureaux lorsqu'une tradition locale ininterrompue peut être invoquée. Elles ne sont pas non plus applicables aux combats de coqs dans les localités où une tradition ininterrompue peut être établie), vide de son sens les principes consignés dans les 2 premiers puisqu’il tolère une exception à cette protection élémentaire et autorise « ces sévices graves quand une tradition locale ininterrompue peut être invoquée ».
Comment le législateur peut-il à la fois condamner des actes considérés comme contraires à l’éthique et s’incliner devant le poids d’une tradition en légalisant, en son nom, la brutalité, la torture, et la mort infligées à des taureaux ou à des coqs puisqu’il s’agit précisément des spectacles de leur combat ?
Souffrance animale : Nul n’ignore plus que la souffrance physique est toujours la souffrance, quel que soit l’être sur qui elle se porte.
Personne n’oserait nier la violence des combats de coqs et leur souffrance lorsqu’ils s’entredéchirent avec leurs onglets acérés jusqu’à ce que le plus ensanglanté des deux ne meure... pour le plus grand intérêt du propriétaire et de ceux qui ont parié sur le vainqueur. Imaginons, loin des regards, les méthodes de préparation du coq à cette agressivité.
Les taureaux programmés pour les corridas subissent aussi une préparation au combat (hors de la vue du public) il s’agit de diminuer les facultés physiques du taureau pour l’handicaper dans le combat qui l’opposera au torero tout en exacerbant sa nervosité pour susciter une agressivité qu’il n’aurait pas naturellement.
Les taureaux subissent souvent une mutilation à vif des cornes. L’ablation porte sur la matière innervée qui est ensuite repoussée vers la racine... On imagine le supplice auquel est soumis l’animal.
Dans l’arène, les traitements que subissent les taureaux scandalisent de plus en plus l’opinion publique. Le picador enfonce une lance aux arêtes extrêmement affûtées jusqu'à 14 voire 20 cm, pour affaiblir l'animal et le contraindre à abaisser la tête et, malgré l'interdiction, vrille et fouille la plaie afin de cisailler le ligament de la nuque.
Puis le torero plante dans la chair de l'animal six banderilles munies de harpons en acier coupant de 6 cm de long afin de provoquer des hémorragies externes. Vient enfin le « coup de grâce » à l’aide d’un poignard (puntilla) pour sectionner le bulbe rachidien. Il est extrêmement rare que le premier coup porté au taureau lui soit fatal, aussi le matador est-il obligé de s’y reprendre à plusieurs fois.
Il s’agit de tortures infligées sciemment à un animal à l’arme blanche, jusqu’à ce que la mort mette fin à cette attraction dédiée au plaisir de voir souffrir et mourir.
Les nouvelles pratiques
Comment peut-on en conscience tolérer qu’au début du XXIe siècle l’on puisse, pour le plaisir d’un divertissement, faire souffrir et tuer un animal ? A une époque où le souci de prendre en compte cette souffrance est un moteur du changement de nos pratiques.
Une politique généralisée de limitation de la souffrance s’observe en effet dans les laboratoires d’expérimentation où on administre des anesthésiques de plus en plus souvent. Les scientifiques d’ailleurs, expérimentent leur recherche biologique sur des cellules de culture avec d’excellents résultats, pour éviter l’utilisation d’animaux.
Il est réconfortant de penser que les progrès de la science s’accompagnent, dans notre société, de progrès éthiques et humanistes. (A l’école pourrait-on encore imaginer que l’on puisse pratiquer des expérimentations animales en classe de biologie ?)
La protection des animaux s’exerce aussi au bénéfice de ceux qui sont destinés à l’alimentation des hommes. Leurs conditions de vie sont contrôlées dans les exploitations d’élevage. Les abattoirs ont mis au point des méthodes réduisant au maximum stress et douleurs des animaux abattus.
Dans le spectacle vivant, le renouveau du cirque passe par des numéros qui n’utilisent pratiquement plus d’animaux, alors qu’aucune législation ne l’interdit. Le travail forcé d’animaux qui ne se faisait pas toujours sans souffrance (pendant les entraînements hors la vue du public) a suscité de nombreuses critiques et le nouveau cirque connaît actuellement un succès populaire avec les seules performances des artistes.
Les législations internationales
C’est la raison pour laquelle les législations internationales interdisent progressivement les pratiques violentes envers les animaux.
La Grande-Bretagne vient d’abolir la chasse à courre.
Le Tadjikistan interdisait il y a quelques mois les combats de coqs qui « portent atteintes au développement moral des jeunes qui feront preuve de cruauté plus tard envers les animaux ».
C’est également pour des raisons éthiques qu’en Espagne, 14 villes de Catalogne se sont déclarées villes anti-corrida, à commencer par Barcelone « pour non-respect de la législation sur la protection de l’enfance ».
Il ne s’agit donc plus uniquement de prendre en compte la souffrance de l’animal mais l’éducation morale de l’enfant.
Education de l’enfant : En encourageant des cruautés exercées en public, on pervertit l’éthique à transmettre à nos jeunes.
Amener un enfant à un spectacle qui accoutume à la souffrance, à la vue du sang, exalte ses passions nocives en les couvrant d’apparats. Le masque de la beauté, beauté revendiquée par les aficionados, ne saurait occulter la cruauté. N’est-ce pas une perversion de l’éducation artistique que de la déconnecter de l’esprit de compassion ? N’est-ce pas une perversion du mythe de l’héroïsme que d’inciter les jeunes « à se jouer la vie » ?
Sur le plan pédagogique, la corrida fait perdre tout repère à l’enfant. Comment peut-il comprendre qu’il est autorisé, voire splendide, de planter des harpons sur le dos d’un taureau mais qu’en revanche il est interdit, voire affreux, de le faire sur le dos d’un cheval ?
L’absence de repères est à son comble lorsque l’enfant suit une initiation dès l’âge de 7 ans. Dans les écoles de tauromachie l’apprentissage à la cruauté s’exerce parallèlement à des exercices pratiques sur des veaux et des vachettes : est-ce vraiment le meilleur moyen d’enseigner aux enfants l’amour pour les animaux ?
Une tradition ancienne doit-elle transgresser l’éthique et les valeurs humanistes actuelles que l’on doit inculquer à nos enfants ?
Le droit et la liberté de vivre sa culture
Nous ne pouvons qu’être stupéfaits de lire : « Chaque être humain est libre de choisir le sort qu’il destine à un animal. » Monsieur Fournier, Maire de Nîmes.
Et que penser des aficionados, qui avec lui, revendiquent « le droit au sens fort du terme de vivre leur passion » et « la liberté de prolonger au XXe siècle l’une des plus anciennes formes de culture qui inscrit le taureau mythique dans la réalité, l’imaginaire et la métaphysique des sociétés humaines depuis la nuit des temps » Il s’agit d’ailleurs d’une « tradition » qui ne remonte qu’à 150 ans. Mais en tout état de cause, l’ancienneté et la pratique constante d’une tradition légitiment-elles la barbarie qu’elle perpétue ?
Certainement pas : les droits et les libertés de chacun ne sauraient transgresser les valeurs qui régissent notre société et qui sont à l’opposé de cette violence, aux saveurs primitives que véhiculent la tauromachie et les combats de coqs.
Les aficionados en sont tellement conscients qu’ils tentent d’atténuer la réalité sanglante de la tauromachie en s’évertuant à magnifier la victime et à transcender ce reliquat d’un passé primitif et barbare en le qualifiant d’art « La corrida est le seul art qui nous renvoie à la mort. » La culture historique n’est-elle pas le vêtement qui sert à déguiser la cruauté ?
Nous avons bien conscience du plaisir que peuvent ressentir certains de nos contemporains au spectacle de l’agonie et de la mise à mort d’un taureau. Comme autrefois certains se réjouissaient des combats de gladiateurs, des supplices de sorcières ou plus récemment des exécutions publiques de condamnés. « De tout temps la vue du sang, de la souffrance et de la mort a attiré des foules enthousiastes venues exorciser leurs peurs ou satisfaire des pulsions intérieures » comme l’a justement écrit Monsieur Marsaudon, Député de Essonne, dans une correspondance à Monsieur Fournier.
C’est bien pour éradiquer progressivement ces traditions barbares héritées des temps passés que les législations évoluent.
L’aspect économique
Même si l’on ne peut mettre au même niveau un intérêt économique et une valeur humaniste (car dans ce cas aucun progrès social n’aurait pu se réaliser et l’on continuerait à pratiquer l’esclavage !) il est faux de prétendre que l’interdiction des corridas « porterait atteinte au développement touristique et économique des régions où elles se pratiquent ».
C’est essentiellement la feria et non la corrida qui rapporte aux commerçants. Une minorité des personnes qui viennent faire la fête dans les rues passe dans les arènes. En revanche, en moyenne 90 % viennent se divertir et consommer sans assister aux corridas.
Au contraire les corridas suscitent de plus en plus de rejets et nuisent au tourisme : de très nombreux organisateurs internationaux de tourisme commencent à boycotter les villes taurines et posent la question : « N’existe-t-il pas de sociétés à visage humain en France ? » et avertissent : « Qu’elles ne se rendront plus jamais en Provence aussi longtemps que les corridas figureront au programme de divertissements » (Mac Donald, Martin Travels, Thomas Cook...). Même les cités jumelées aux villes qui pratiquent les corridas telle la ville anglaise de Stockport jumelée à Béziers s’en offusquent : « retirez votre aide financière à ce sport cruel, aucune excuse ne peut justifier la mutilation et la torture d’animaux, ni pour le plaisir, ni pour quelque autre raison ». De même le maire d’Eggenfelden, ville allemande jumelée à Carcassonne, qui après avoir visionné un court métrage, rend publique sa condamnation de la corrida qu’il qualifie de spectacle sanglant.
En ces temps où les corridas ne font plus véritablement recette, le lobby taurin cherche d’autres financements que les subventions de leur municipalité. Ils organisent des corridas de bienfaisance au profit d’associations d’enfants atteints d’une maladie ou d’un handicap. L’Association des Paralysés de France (APF) a dépassé son intérêt égoïste et refuse tout argent provenant d’une perversion du système de bienfaisance. Le Directeur Général de l’APF : « Il faut savoir rompre avec des pratiques qui bien qu’ancrées dans une certaine tradition ne sont plus en phase avec notre époque ».
La cause animale, même si elle n’est pas une priorité par rapport aux souffrances humaines, est une cause qui dépend de la volonté humaine. Encore une fois, l’on ne s’attend pas à ce que les droits humains soient étendus aux animaux. Nous attendons des représentants de la nation et des pouvoirs publics ce geste symbolique dans le sens de la compassion. Nous formulons l’espoir que les pseudos raisons économiques, les traditions culturelles d’un autre âge ne puissent s’opposer victorieusement à la sensibilité de l’homme du XXIe siècle.
La légitimité de la France à soutenir dans le monde les combats en faveur de la cause animale, perd toute crédibilité si elle n’applique pas chez elle les principes qu’elle défend ailleurs.
Tôt ou tard on s’indignera massivement que des députés de la nation aient refusé d’empêcher de torturer des taureaux, des coqs, pour le simple plaisir de quelques hommes ou pour quelque raison économique. Comme on s’indigne aujourd’hui des combats de gladiateurs ou des exécutions publiques. L’Europe ne tolèrera plus longtemps ces pratiques.
Tous ensemble, abandonnons cette tolérance de la loi incohérente et contradictoire avec elle-même, ayons le courage de bousculer ces pratiques d’un autre âge en dehors de toutes contingences politiques et prenons des positions qui honorent la France.
PROPOSITION DE LOI
Article unique
Le troisième alinéa de l’article 521-1 du code pénal est supprimé.
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